Marie-Jeanne BÉRÈRE, théologienne.
Marie-Jeanne BÉRÈRE fut une des premières femmes qui, en France, se consacra à la théologie. Bourguignonne, née en 1923, elle acheva ses études à Paris pendant la seconde guerre mondiale. Elle s'orienta alors vers l'enseignement catéchétique dans divers établissements privés, puis exerça longuement un rôle non négligeable dans l'éducation religieuse au petit séminaire de Rimont (S.& L.). Elle vint à Lyon vers les années 70 pour approfondir sa formation catéchétique à l'IPER. Henri Denis décela chez elle de grandes qualités intellectuelles, une soif de comprendre la foi chrétienne et les effets que produisait sur elle la nouvelle donne culturelle, notamment féministe.
Après des études à la faculté de théologie de Lyon, elle y donna un cours d'introduction à la théologie et enseigna l'ecclésiologie. Elle s'était distinguée par la qualité de son mémoire "Le jeu de la tradition dans la pratique masculine du ministère apostolique", publié en 1980 dans les Cahiers de l'Institut. Elle s'adonna ensuite à l'élaboration de sa thèse de doctorat "Marie, l'Église, deux figures symbolisant le salut". Elle la soutint avec brio en 1987. On en trouve une version simplifiée de grande valeur dans l'ouvrage paru en 1999 aux Éditions de l'Atelier : "Marie...tout simplement".
Pour assurer son travail théologique, elle dut continuer/ d'enseigner la catéchèse au collège Jehanne de Lestenac à Lyon. Dépourvue de fortune personnelle, elle vécut dans une certaine pauvreté. L'extraordinaire ténacité dont elle témoigna dans sa formation et la persévérance courageuse qu’elle pratiqua dans sa recherche la conduisirent à se situer de façon originale dans le monde théologique.
Outre ses obligations académiques avant sa retraite en 1988, elle travailla avec l'équipe de Présence et Regard, donna de nombreux cours aux religieuses et intervint plusieurs fois dans des rencontres d'associations. Elle écrivit de nombreux articles, notamment dans les revues "Communion et diaconie" et "Lumière & Vie".
La lecture de ses écrits montre que Marie-Jeanne BÉRÈRE ne pratiquait pas l'euphémisme. Aussi bien sur les questions du ministère féminin que d'ecclésiologie et de mariologie, elle prit des distances à l'égard de l'opinion commune ou officielle. Ses options personnelles ne relevaient pas du caprice ou du ressentiment, elles s'enracinaient dans sa volonté de combattre les dérives de traditions qui malmenaient la foi originaire ou trahissaient ses axes fondamentaux.
Marie-Jeanne BÉRÈRE n'hésitait pas à travailler à contre-courant. L'article qu'elle publia en 1999 à propos de l'ouvrage du Groupe des Dombes sur Marie témoigne de son indépendance. Malgré les critiques louangeuses de ce livre, elle débattit de ce texte en toute objectivité et liberté, affranchie des jeux politiques que tout dialogue implique. Cet article, parmi les derniers qu'elle écrivit, est un symbole de sa volonté d'indépendance, il signe les racines de sa théologie féministe : une liberté rigoureuse qui se joue des compromis. On souhaite qu'en hommage à son travail tenace et sérieux, la Faculté de théologie de Lyon réunisse en ses Cahiers les articles dispersés. Ce serait une manière de continuer son combat.
Christian DUQUOC
Marie-Jeanne BÉRÈRE RDC 46, 1996, p. 7-20
L'ORDINATION DES FEMMES DANS L'ÉGLISE CATHOLIQUE :
LES DÉCISIONS DU MAGISTÈRE
Qu'en est-il dans l'Église catholique des décisions magistérielles relatives à l'ordination des femmes, tant au diaconat qu'à la prêtrise ? Même si les deux ministères sont différents et si la discipline de l'Église admet maintenant des hommes mariés au diaconat permanent, quand il s'agit d'accepter les femmes, la décision est la même : non. C'est que le diaconat, comme la prêtrise, introduit la personne dans l'ordre hiérarchique des clercs et que, selon le canon 1024 du Code de droit canonique : « Seul un homme (vir) reçoit validement l'ordination sacrée ». Je m'en tiendrai à parler de l'ordination des femmes à la prêtrise, que le magistère appelle à nouveau, après un abandon post-conciliaire du terme, ordination sacerdotale.
On peut aujourd'hui répondre de façon fort simple à la question de savoir ce qu'en dit le magistère. Par la lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis du 22 mai 1994, adressée aux évêques, le pape Jean-Paul Il a exprimé clairement sa position : « Afin qu'il ne subsiste aucun doute sur une question de grande importance qui concerne la constitution divine elle-même de l'Église, je déclare, en vertu de ma mission de confirmer mes frères, que l'Église n'a en aucune manière le pouvoir de conférer l'ordination sacerdotale à des femmes et que cette position doit être définitivement tenue par tous les fidèles de l'Église» (D.C., n° 2096, 1994, p. 552)
Nous voilà tous informés. Il s'agit d'un refus catégorique de l'ordination des femmes et, à première lecture, d'un refus définitif. Mais ce document, outre qu'il est tout à fait passible d'une analyse théologique et d'une interprétation, a des antécédents et un contexte, lesquels peuvent apporter quelque lumière pour comprendre son statut et son rôle dans l'exercice de l'autorité ecclésiale.
Je veux donc présenter mon propos en trois points :
1) Une évocation rapide, et très schématique bien sûr, d'une histoire en creux de la question de l'ordination des femmes
2) Son émergence dans le contexte récent
3) La présentation de quelques remarques sur l'autorité magistérielle du dernier document.
1. UNE QUESTION TOUJOURS REFUSÉE
Quand le pape affirme que la pratique de l'ordination exclusivement réservée aux hommes est une « tradition constante » de l'Église catholique, il exprime un fait incontestable. Certes, l'étude des documents de l'Église primitive donne à penser l'existence de missions ou de ministères de responsabilité, reconnus, officiellement établis, assumés par des femmes au même titre que par des hommes. Mais cette situation de parité n'a pas duré longtemps. Dès la fin du premier siècle, un de ces ministères-services est devenu « sacré », investissant le ministre d'un pouvoir « sacré », comme une participation au pouvoir divin du Christ, autorité « sacrée » que, selon les principes obscurs des religions sacrales, les hommes masculins seuls peuvent détenir.
Passées les premières décennies de l'Église, le ministère de prédication et de présidence de la communauté (ministère presbytéral), en devenant « sacerdotal », a été réservé aux hommes exclusivement, voire jalousement. L'histoire ecclésiastique a conservé des réactions sans ambiguïté du clergé masculin à l'égard de quelques velléités féminines, réelles ou supposées, en tous cas fortement repoussées, d'assumer les services du ministère ordonné.
Je cite seulement, parmi d'autres, cette parole de Tertullien, dans les premières années du IIIe siècle : « Il n'est pas permis à la femme de parler dans l'Église (1 Co 14, 34-35) et pas davantage d'enseigner, de baptiser, d'offrir, ni de revendiquer pour elle aucune part d'une fonction propre à l'homme, encore moins du ministère sacerdotal » (Le voile des vierges).
Les situations évoquées sont diverses mais les arguments du refus se rejoignent pour affirmer que le ministère sacerdotal est une fonction virile, seul l'homme masculin pouvant approcher le sacré et porter l'autorité, que la femme est inférieure, fragile et perverse par nature, l'homme étant seul image de Dieu, que Jésus n'a donc pas choisi de femmes pour apôtres ; même à sa mère il n'a pas donné le pouvoir de baptiser.
Quant aux femmes qui osaient prétendre exercer le ministère « sacerdotal », leur attitude est qualifiée d'impiété, audace extraordinaire, inconvenance, usurpation, impudence, en des termes parfois d'une violence rare.
À partir du XIIIe siècle, la tradition masculine du ministère sacerdotal est si bien installée dans le droit de l'Église comme dans les mentalités, qu'il ne vient à l'idée de personne, homme ou femme, de se poser la question d'une admission des femmes à la prêtrise. Même les secousses de la Réforme n'ébranlent pas cette conviction. On peut ajouter qu'en cela l'Église participait pleinement de la mentalité commune des sociétés à l'égard des femmes.
2. L'ÉMERGENCE NOUVELLE DE LA QUESTION DE L'ORDINATION DES FEMMES
Les mouvements féministes, surtout au XIXe siècle, ont fait prendre conscience, particulièrement aux femmes, de l'état de subordination dans lequel était tenu le sexe dit faible, et de la nécessité de lutter contre cette injustice pour l'émancipation de la femme.
Dans les Églises aussi, ces idées se sont répandues. Les femmes chrétiennes, relisant avec un sens plus critique et un esprit moins soumis les textes mêmes de la tradition, ont senti s'éveiller en elles le besoin d'affirmer leur dignité humaine fondamentale et une liberté spirituelle dont les avaient privées légistes et moralistes masculins en chargeant leur féminité dite faible, ignorante et tentatrice, de toutes les fautes du monde.
À cause de cette ouverture vers une nouvelle vision de la féminité liée à une redécouverte de la lecture biblique et de l'histoire ecclésiastique, des femmes, et aussi des hommes, en sont venus à penser que la place des femmes dans l'Église, celle qu'elles tiennent de leur baptême, pouvait et devait être reconsidérée par la théologie comme par le droit et la discipline de l'Église, jusques et y compris en ne leur refusant plus la prêtrise dont elles étaient jusque là exclues à cause de leur sexe.
Dans cette perspective, les Églises de la Réforme commencent à consacrer des femmes pasteurs. Ces décisions n'inquiètent pas les autorités catholiques qui ne considèrent pas le pastorat réformé comme étant de même nature que le ministère sacerdotal.
Cependant le mouvement est lancé. Dans l'Église anglicane, dès 1944, une femme est ordonnée prêtre à Hong Kong ; l'Église luthérienne de Suède, en 1958, elle aussi, ordonne des femmes.
Le Concile Vatican II a proclamé l'ouverture au monde de l'Église catholique, qui souhaite voir ses fidèles s'insérer vraiment dans ce monde avec les enjeux de la modernité. De nombreux théologiens portent une attention nouvelle à la signification du ministère des prêtres. On abandonne le terme ambigu de « sacerdoce », porteur d'une sacralité peu chrétienne, et on cherche à comprendre le fondement de l'exclusion des femmes du ministère presbytéral.
Ces mouvements divers incitent Paul VI à profiter de l'année internationale de la femme en 1975 pour créer une Commission d'étude sur la femme dans la société et dans l'Église, commission à laquelle, très vite cependant, pour ne pas laisser se développer l'espoir qu'elle avait fait naître, le pape précise que l'étude ne doit pas inclure la question de l'ordination. La Congrégation pour la Doctrine de la foi y travaille, de son côté.
Dans le même temps, l'Église anglicane d'Angleterre, poussée par certaines des Églises nationales de la Communion anglicane, réfléchit à l'élaboration d'un projet dont les conclusions seront rendues publiques en 1976. Ce projet suscite une vive réaction des milieux romains catholiques, car l'Église anglicane et l'Église catholique ont entrepris une réflexion commune, dans un organisme approprié, officiellement mandaté à la fois par le pape Paul VI et l'archevêque de Canterbury, le Dr Coggan, pour trouver des points d'accord et de réconciliation. Et malgré de nombreuses sources de divergence, comme la décision de Léon XIII, en 1896, de déclarer invalides les ordinations dans l'Église anglicane, catholiques et anglicans s'accordent sur les grands points de la doctrine et en particulier la signification des sacrements, dont celui de l'Ordre.
Le pape Paul VI écrit donc au Dr Coggan (en novembre 1975) pour lui répéter la discipline catholique de non ordination des femmes et le mettre en garde contre une dégradation possible des relations entre les deux Églises si les anglicans acceptaient, eux, cette ordination.
Cette lettre de Paul VI est le premier document officiel, précis, contemporain, où sont posées les motivations du refus catholique d'ordonner des femmes à la prêtrise.
À dater de ce jour, les documents romains se succèdent au rythme même des discussions anglicanes qui vont du projet primitif encore vague, à des préliminaires juridiques, jusqu'à des ordinations hors de l'Église d'Angleterre et à la perspective d'ordonner des femmes même à l'épiscopat.
Le magistère catholique s'émeut de cette évolution qui paraît bien à présent irréversible, car s'il la regrette au nom de la Tradition, certains fidèles s'en réjouissent, espérant une éventuelle contagion dans la transformation des mentalités.
Donc, après avoir fait ses remarques aux anglicans, Paul VI ordonne la publication de la Déclaration Inter insigniores de la Congrégation pour la Doctrine de la foi sur la question de l'admission des femmes au sacerdoce, le 15 octobre 1976. Bien que les commissions compétentes mises au travail n'aient découvert aucun empêchement majeur, ni biblique, ni théologique, à l'ordination presbytérale des femmes, la Déclaration, avec l'approbation et la signature du pape, maintient la coutume traditionnelle en lui donnant appui sur la volonté du Christ que l'Église ne peut modifier.
Le débat aurait pu être clos. Le document le donnait à entendre, ainsi que les commentaires officiels. Cependant, il n'en a rien été, car la Déclaration avance des arguments qui peuvent être valablement contestés. Les discussions, les recherches bibliques, historiques, théologiques, se sont multipliées ; de nombreux colloques et publications en font foi.
De leur côté, les anglicans persévèrent également, et en 1986, une nouvelle correspondance entre le pape, cette fois-ci Jean Paul II, et l'archevêque de Canterbury, le Dr Runcie, réitère et les explications des anglicans et le refus des catholiques.
En 1988, le pape Jean Paul II précise sa pensée sur le rôle des femmes dans l'Église, dans la Lettre apostolique Mulieris dignitatem sur la dignité de la femme et sa vocation (15 août 1988). Il y répète le refus catholique de l'ordination des femmes.
Devant l'avancée de l'Église anglicane à la Conférence de Lambeth, en 1988, le Vatican suscite une nouvelle correspondance qui reprend absolument les termes des précédentes (1989).
L'année suivante (1990), l'Église anglicane d'Angleterre accepte le principe de l'ordination des femmes ; une Église épiscopalienne des États-Unis a déjà consacré une femme évêque. En 1992, le Synode de l'Église d'Angleterre vote l'admission des femmes à la prêtrise, vote que les Chambres anglaises et la reine Élisabeth II ratifient à la fin de 1993. Les premières ordinations anglicanes de femmes ont lieu en mars 1994.
Alors le magistère catholique réagit : d'abord par quelques remarques du porte-parole du Vatican sur le fait que cette décision va entraver le processus de réconciliation entre les deux Églises, puis par la Lettre apostolique de Jean-Paul II du 22 mai 1994 Ordinatio sacerdotalis sur l'ordination sacerdotale exclusivement réservée aux hommes.
3. L'AUTORITÉ MAGISTÉRIELLE DU DOCUMENT ORDINATIO SACERDOTALIS
Comment recevoir ce document du point de vue de son autorité ? Je voudrais tenter quelques remarques.
• Le pape s'adresse aux évêques, sous-entendant ainsi que sa parole concerne un point de leur responsabilité épiscopale : enseignement et gouvernement des fidèles. Mais il fait usage de son autorité personnelle de magistère souverain qu'il réfère, le fondant sur une parole de l'évangile de Luc, à la primauté de Pierre, et qu'il interprète comme mission particulière à lui confiée par le Seigneur, celle de conforter la foi de ses frères les évêques en leur communiquant l'authentique vérité. L'exercice de cette autorité est rendue nécessaire, en matière d'ordination des femmes, par le flottement doctrinal qui, selon le pape, subsiste dans l'Église et la non acceptation docile des enseignements déjà donnés à ce sujet, à plusieurs reprises depuis Paul VI.
• Dans cette perspective, Jean-Paul II affirme donc qu'il exprime une vérité « sans doute », une vérité dogmatique sûre, qui n'est pas de petite importance, puisque « elle concerne la constitution divine elle-même de l'Église ». On doit donc comprendre que dans l'organisation de l'Église catholique, telle qu'elle est constituée et telle qu'elle perdure, l'incompatibilité de la féminité avec le ministère sacerdotal vient du dessein de Dieu lui-même, confirmé par l'attitude de Jésus en sa vie terrestre. Le pape énonce là une vérité qui, marquée du caractère de volonté divine, ne souffre ni le doute, ni la contestation.
• Puis il développe logiquement son propos en déclarant que le magistère de l'Église ne se reconnaît aucun pouvoir de modifier - et il ne l'a jamais fait - ce que Dieu et le Christ ont si véritablement établi. En conséquence, jamais l'Église n'acceptera l'ordination des femmes, qui serait une désobéissance à la volonté de Dieu.
• La conclusion va de soi : cette « position », présentée comme portant la vérité «sans doute », doit être évidemment tenue, autrement dit acceptée et considérée comme seule valable par tous les fidèles, et cela « définitivement ». On verra comment comprendre ce « définitivement » qui paraît bien autoritaire.
En donnant cette « position » comme seule conforme à la vérité de l'Église devant Dieu, et seule acceptable, le pape s'adressant aux évêques semble bien leur enjoindre de la faire admettre et respecter par tous les fidèles.
Une « Note de présentation » (non signée) accompagne la Lettre Ordinatio sacerdotalis, afin sans doute qu'elle soit bien comprise. Ce n'était peut-être pas vraiment nécessaire, sinon pour rappeler les arguments, cités mais non répétés par le pape, de la Déclaration Inter insigniores de 1976. Selon ce document, la tradition se manifeste de la manière suivante :
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L'Église n'a jamais admis l'ordination des femmes.
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Les Pères l'ont déclarée irrecevable dans l'Église.
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L'Église entend demeurer fidèle au type de ministère ordonné voulu par le Seigneur Jésus et religieusement maintenu par les apôtres.
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Même conviction (l'irrecevabilité de l'ordination des femmes) dans la théologie médiévale.
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Depuis le Moyen Age jusqu'à nos jours, la pratique de l'Église (de la non ordination des femmes) a bénéficié d'une possession pacifique et universelle.
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La loi, n'ayant pas été contestée, n'a pas eu à être défendue.
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La tradition est que l'Église se conforme au modèle que le Seigneur lui a laissé.
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En justification du refus de l'ordination des femmes vient encore s'ajouter la pensée que le prêtre, célébrant l'Eucharistie, tient la place du Christ, qu'il agit « in persona Christi », et donc que le sens de la célébration n'est assuré que si le prêtre ressemble au Christ par sa masculinité.
On dit encore que la figure biblique du Christ époux de l'Église, est mieux évoquée et plus pertinente si le Christ, époux donc masculin, est représenté par un être humain lui aussi masculin.
Ces argumentations, auxquelles la lettre Ordinatio sacerdotalis fait référence, sont contestables, et largement contestées, elles sont loin d'imposer l'évidence et d'emporter l'adhésion à la pensée présentée comme seule vérité par les documents magistériels. D'ailleurs, elles ne sont pas mises en avant, ni même vraiment utilisées, dans les échanges avec les anglicans. Seuls paraissent essentiels le choix du Christ de n'appeler que des hommes et le comportement constant de l'Église en obéissance au dessein de Dieu.
On trouve encore, dans la « Note », une insistance sur le statut d'autorité de la Lettre de Jean-Paul II, ce qui est ici notre centre d'intérêt.
Ce n'est « pas une formulation dogmatique nouvelle » mais une « doctrine enseignée par le magistère pontifical ordinaire de manière définitive ». Ce n'est « pas un enseignement prudentiel », autrement dit conjoncturel, « ni une hypothèse probable », restant cependant hypothétique, donc relative, « ni simple décision disciplinaire », c'est-à-dire mise en œuvre contextuelle d'un point de doctrine. C'est « une doctrine certainement vraie », l'expression d'une vérité appréhendée en certitude.
On peut développer un peu ces propos.
Le pape ne formule pas un nouveau dogme, il répète seulement, avec la volonté d'éviter son oubli, une doctrine déjà enseignée. Même s'il met en avant son autorité personnelle, Jean-Paul II n'engage pas l'infaillibilité pontificale. Pour exprimer une parole « infaillible », il aurait fallu que celle-ci soit précédée d'une consultation de tous les évêques, ceux-ci marquant nettement leur accord. L'« infaillibilité » est, par ailleurs, une notion qui demande à être nuancée. En 1871, le concile Vatican I l'a formulée un peu hâtivement et Vatican II l'a reprise et précisée quelque peu, en évoquant la conjonction nécessaire entre trois instances : l'Écriture, porteuse de parole de Dieu, le collège (ou l'ensemble) des évêques dont fait partie le pape, et les fidèles du peuple de Dieu, trois instances dont les pensées de foi doivent converger pour donner lieu à une déclaration infaillible. L'infaillibilité, autrement dit la capacité de garder fidélité à la visée de foi des origines, qui est propriété garantie par l'Esprit, appartient à la totalité des croyants (LG 12). Cette infaillibilité du peuple de Dieu tout entier, magistère et fidèles, se traduit en une fonction spécifique de Déclaration, à propos de points précis de la foi, par la parole des évêques collégialement, et par celle du pape en dernière expression. À l'évidence, ce processus n'est pas celui qui a conduit à l'élaboration de la Lettre Ordinatio sacerdotalis.
Selon la « Note de présentation », la Lettre contient la « doctrine enseignée par le magistère pontifical ordinaire ». Ordinaire signifie, en langage ecclésiastique : qui découle de la charge reçue. Comme tout évêque, le pape a donc une mission d'enseignement, de responsabilité dans l'enseignement de la doctrine ; en vertu de la charge particulière de la papauté, son enseignement peut s'étendre à l'Église universelle. Cependant, la Lettre de Jean-Paul II, dans sa formulation, laisse entendre que lui seul détient la vérité, une vérité qui n'admet pas le doute et induit alors une survalorisation, quelque peu sacralisante, de son enseignement magistériel.
Selon le droit légitime de sa charge, le pape dispose, pour la communication de son enseignement, de plusieurs modes de publications, qui dans le système juridique ecclésial, suivent une sorte de hiérarchie, et dans le degré d'approche doctrinale, et, conjointement, dans le degré d'adhésion de la réception.
D'après certains canonistes, la Lettre apostolique - ainsi est dénommé le document Ordinatio sacerdotalis - vient assez loin dans cette échelle d'importance, après d'autres formes d'expressions papales comme les Lettres encycliques, les Exhortations apostoliques, les Lettres décrétales (décrets) et les Constitutions apostoliques. Le pape n'a donc pas choisi le mode de promulgation le plus contraignant pour les fidèles et pourtant, il entend parler « définitivement ». Le « définitivement » du texte romain est sans doute voulu pour signifier la volonté d'obtenir un arrêt des discussions publiques au sujet de l'ordination des femmes que le pape, personnellement, refuse. Dans le contexte actuel, la « position » du pape est bien ferme et définitive. Il demande que les fidèles l'acceptent comme une doctrine « certainement vraie », non comme une hypothèse, non comme une décision disciplinaire, non comme un enseignement de circonstance. Ceux qui ne penseraient pas ainsi devraient pourtant se ranger à sa « position », et considérer que l'affaire est classée, dans le sens de cette position du pape. Mais ce « définitivement », s'il entend clore, actuellement, le débat, ne peut cependant pas être compris comme engageant les décisions de tous les successeurs de Jean-Paul II, à perpétuité, parce que l'Église est vivante, toujours animée par l'Esprit, lequel n'est pas sommé de se soumettre au magistère de l'Église. Beaucoup de décisions papales, au cours des siècles passés, comprises par ceux qui les ont prises comme étant « définitives », eu égard à leur contexte historique, ont été modifiées par d'autres papes, en d'autres temps de l'Église.
Il reste qu'une obéissance actuelle est demandée et un problème se pose pour l'adhésion des fidèles à cette vérité dite « certaine » : les femmes sont exclues par Dieu lui-même de l'ordination ministérielle.
En effet, on ne peut exiger l'adhésion à une vérité, en christianisme, que si l'on en montre le lien fondamental et la cohérence avec la Révélation en Jésus-Christ. Le pape affirme comme vérité certaine que, fidèle en cela à la volonté de Dieu, Jésus n'a pas voulu que les femmes soient ordonnées au ministère presbytéral et il en donne la démonstration dans le fait que Jésus n'a choisi que des hommes pour apôtres. Mais en s'appuyant sur un fait, le pape oublie que les faits sont toujours situés, soumis au contexte social, culturel, historique et narratif de leur émergence. Même constants et universels, les faits ne disent pas directement une vérité spirituelle ; ils demandent à être interprétés, de même que les paroles elles-mêmes de la narration des faits. Le pape déduit du fait qu'il signale, à savoir le comportement de Jésus ne choisissant pas de femmes pour apôtres, la volonté délibérée du Christ et de Dieu d'exclure absolument les femmes des fonctions ministérielles ordonnées. Or, du fait que Jésus n'a appelé comme apôtres que des hommes, ce qu'une exégèse de l'ensemble des évangiles peut tout à fait infirmer, il n'est pas possible de déduire comme vérité certaine que Jésus ait voulu explicitement exclure les femmes pour toujours et à jamais des fonctions ministérielles. Joseph Moingt montre bien comment le pape utilise ainsi abusivement les faits. Jésus a choisi « uniquement » des hommes, devient dans la pensée de Jean-Paul II : Jésus a choisi « exclusivement » des hommes, et ce qu'a fait Jésus dans les circonstances terrestres de son temps, «présentement », est transposé directement en action divine, « perpétuellement ».
En réalité, le pape demande une adhésion absolue à sa propre interprétation d'un fait évangélique, sans que l'argumentation en soit convaincante, sur le seul critère de son autorité. Des catholiques peuvent en ressentir une réelle blessure de l'intelligence, même si un certain nombre d'autres, il est vrai, aimeront ce langage pontifical d'affirmation d'une vérité sans ombre et d'appel à une obéissance sans réserve.
Le pape entend bien encore, semble-t-il, peser de toute son autorité magistérielle pour imposer partout sa manière de voir les choses, et la Lettre est sans doute ainsi ressentie dans certains milieux œcuméniques ; les concertations entre Églises en souffriront peut-être, sans être pour autant interrompues.
D'ailleurs, en se référant à la notion de « Constitution divine de l'Église » le pape ouvre à la question de l'ordination des femmes, qu'il voudrait fermer, d'autres champs de réflexion et de recherche. Comment expliciter pour notre temps la notion de « Constitution divine de l'Église » qui établit une discrimination à l'égard des femmes ? Pourquoi est-ce de la nature intime de l'Église du Christ, mise à part une volonté tout à fait supposée de Dieu, de réserver aux baptisés masculins le ministère ordonné ? Il faudra bien s'intéresser aussi à la compréhension même de ce ministère ordonné qui exige d'être refusé aux femmes pour cause de féminité. Les études sérieuses d'ecclésiologie ne pourront pas éluder ces interrogations, ni leur donner pour seule réponse l'autorité souveraine du pape et sa vision personnelle de la féminité.
En contrepartie du refus de l'ordination, la Lettre comporte l'appel, usuel maintenant dans les écrits du pape, au respect dû à la féminité et à la reconnaissance de la sainteté des femmes. Cette antienne louangeuse par laquelle Jean-Paul II dit « défendre » les femmes en honorant « les martyres, les vierges et les mères de famille », remplace à notre époque l'énoncé, il y a peu encore traditionnel, des perversités féminines, sans pour autant que soit vraiment modifiée la conception séparatrice et infériorisante pour les femmes de la différence sexuelle. En tous cas, ces compliments n'ont rien à voir avec la question de l'acceptation ou du refus de l'ordination pour les femmes, et ne peuvent pas constituer un argument de la discussion.
Pour conclure cet apport à la réflexion commune, j'ajoute qu'il est tout à fait possible aux croyants catholiques de recevoir la proclamation de vérité personnelle du pape que constitue la Lettre, comme l'expression légitime du souci de sa charge de garder la Tradition. On comprend que, pour ce faire, Jean-Paul II soit conduit, selon sa conception de l'Église et de son propre rôle, à émettre des mises en garde, à recommander des temporisations, aussi bien qu'à encourager des recherches, pour une meilleure mise en œuvre de la foi chrétienne en notre temps. Dans cet ordre d'idées, le document Ordinatio sacerdotalis écarte, sans ambiguïté, les femmes de l'ordination. Il n'y aura pas, sous le pontificat de Jean-Paul II, de femmes ordonnées prêtres. C'est là un fait, et la décision doit être respectée en soi.
Pour autant, elle n'entrave pas nécessairement l'arrêt de toute réflexion ni de toute recherche. Même la formulation et la proclamation d'un dogme ne font pas cesser toute étude et celle-ci peut légitimement aboutir à une compréhension différente, mais toujours cohérente avec la foi, du point de doctrine exprimé par le dogme. S'agissant de la question de l'ordination des femmes, le débat ne peut donc pas être réellement clos autoritairement.
Venant à la suite d'autres textes romains sur le sujet, la Lettre Ordinatio sacerdotalis se présente comme un acte particulier du pouvoir magistériel catholique s'exerçant à l'endroit des femmes, d'une manière absolue, en prenant à leur égard une décision déclarée sans appel. Mais ni par son statut ecclésial, ni par son contenu théologiquement discutable, le document ne peut absolument avoir pour effet que les femmes ne soient « jamais », dans les temps à venir plus ou moins éloignés, admises au ministère ordonné dans l'Église catholique.
Marie-Jeanne BÉRÈRE,
théologienne, Lyon
CHRONOLOGIE DES DOCUMENTS
1958 Ordination de femmes dans l'Église luthérienne de Suède.
1975 Année internationale de la femme : Paul VI crée une Commission d'étude sur la femme dans la société et l'Église et une Commission pour l'Année internationale de la femme. Mais on ne doit pas faire de recherches dans le domaine de l'ordination des femmes au sacerdoce.
1976 Les commissions donnent leur rapport, voir La Documentation catholique D.C. n° 1704, p. 769.
1976 L'étude ne porte pas sur un changement dans la pratique de non ordination des femmes. Voir D.C., n° 1704, 1976, p. 770.
1976 Le Synode général de l'Église anglicane (d'Angleterre) rend public un projet d'ordination des femmes au sacerdoce. Voir D.C., n° 1704, 1976, p. 771.
1975 « Échange de lettres entre Paul VI et l'archevêque de Cantorbéry », dans D.C. n° 1704, 1976
1976 P. LAMBERT Bernard, op, « L'Église catholique peut-elle admettre des femmes à l'ordination sacerdotale ? », Note théologique, dans D.C., n° 1704, 1976, p. 769-780.
1976 Déclaration « Inter insigniores » de la Congrégation pour la Doctrine de la foi sur la question de l'admission des femmes au sacerdoce ministériel du 15 octobre 1976, dans D.C., n° 1714, 1977, p. 159-164.
1976 Paul VI, « Appel aux femmes », allocution du 30 janvier 1977, dans D.C., n° 1714, 1977, p. 157.
1977 « Commentaire au sujet de la Déclaration de la Congrégation pour la doctrine de la foi sur la question de l'admission des femmes au sacerdoce ministériel », dans D.C., n° 1714, 20 février 1977, p. 165-173.
1977 Mgr ETCHEGARAY, président de la Conférence épiscopale française, « Présentation de la Déclaration », dans D.C., n° 1714, 20 février 1977, p. 174
1977 « Communiqué du Conseil d'administration de la Conférence épiscopale du Canada du 27 janvier 1977 », dans D.C. n° 1714, 1977, p. 174-175.
1977 « Message des évêques des États-Unis à Paul VI », dans D.C.n° 1714, 1977 p. 175.
1977 Déclaration des évêques vieux-catholiques d'Utrech, de Suisse et d'Allemagne (ils s'opposent à l'admission des femmes au sacerdoce), dans D.C., n° 1714, 1977, p. 175.
1978 Louis LIGIER, « La question du sacerdoce des femmes dans l'Église », dans D.C., n° 1742, 1978, p. 478-488.
1981 « L'Église anglicane et l'ordination des femmes », dans D.C. n° 1808, 1981, p. 514.
1983 « Discours du pape Jean Paul II aux évêques des U.S.A. du 5 septembre 1983», dans D.C. n° 1860, 1983, p. 934.
1986 « La question de la validité des ordinations anglicanes déclarées invalides par Léon XIII, Apostolicae curae du 26 septembre 18961 », dans D.C., n° 1915, 1986, p. 354.
1986 « L'ordination des femmes dans l'Église anglicane. », Correspondance entre le pape Jean-Paul II, l'archevêque de Canterbury et le Cardinal Willebrands, secrétariat du Vatican pour l'unité des chrétiens, dans D.C., n° 1924, 1986, p. 802.
1986 « La question de l'épiscopat des femmes dans la Communion anglicane », dans D.C., n° 1924, 1986, p. 806.
1988 Jean-Paul II, « Lettre apostolique Mulieris dignitatem sur la dignité de la femme et sa vocation, 15 août 1988 », dans D.C., n° 1972, 1988, p. 1069-1088.
1988 « Discours de Zizoulias, métropolite de Pergame (patriarcat œcuménique) à la Conférence de Lambeth 1988 », dans D.C., n° 1975, 1989, p. 24-27.
1988 Jean-Paul II, « L'ordination des femmes à l'épiscopat dans la Communion anglicane » (allocution aux cardinaux et à la Curie romaine, 22 décembre 1988), dans D.C., n° 1977, 1989 p. 101-103.
1989 « L'Église épiscopalienne ordonne une femme à l'épiscopat », dans D.C., n° 1980, 1989 p. 312.
1989 « L'ordination des femmes. Correspondance entre le Dr Runcie et le pape Jean Paul II », dans D.C., n° 1987, 1989, p. 646-648.
1990 « L'Église d'Angleterre fait un pas vers l'ordination des femmes », dans D.C., n° 1997, 1990, p. 45.
1990 « L'Église luthérienne ordonnera des femmes à l'épiscopat en Finlande », dans D.C., n° 2010, 1990, p. 877.
1993 « L'Église anglicane se prononce pour l'ordination des femmes », dans D.C., n° 2063, 1993, p. 47.
1993 « Ordination des femmes. Réaction orthodoxe », dans D.C. n.° 2065, p. 146-147.
1993 Jean-Paul II aux évêques des États-Unis, « De l'ordination des femmes », dans D.C., n° 2078, 1993 p. 756.
1993 « Accord des Chambres anglaises à l'ordination des femmes dans l'Église anglicane », dans D.C., n° 2083, 1993, p. 1048.
1994 « Ordinatio sacerdotalis, lettre de Jean Paul Il sur l'ordination sacerdotale exclusivement réservée aux hommes. 22 mai 1994 », dans D.C., n° 2096, 1994, p. 551-552.
1994 « Note de présentation de la lettre Ordinatio sacerdotalis »,D.C., n° 2096, 1994, p. 553.
1994 Cardinal J. RATZINGER, « La lettre Ordinatio sacerdotalis confirme ce que l'Église a toujours vécu dans la foi. Commentaire du document », dans D.C., n° 2097, 1994, p. 611-615.
1994 « Après la lettre du pape sur l'ordination réservée aux hommes. Déclaration des évêques de Belgique. 4 juin 1994 », dans D.C., n° 2099, 1994, p. 738-739.
1994 Lettre de Mgr VOGEL, évêque de Bâle, aux prêtres et agents pastoraux, «Contre la résignation dans l'Église », dans D.C., n° 2099, 1994, p. 739-740.
1995 Jean-Paul II, Lettre du Pape aux Femmes, dans D.C. n° 2121, 1995, p. 717-722.
1995 Congrégation pour la Doctrine de la foi, « Réponse à un doute sur la doctrine de la Lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis » (28 octobre 1995), dans D.C., 1995, n° 2128, p. 1079. Explicitation de la Réponse, ibid., p. 1079-1081.