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Archives - Jean LAVERGNAT : Les quatre temps du renouveau

Les quatre temps du renouveau ?

Dans les derniers mois de 2010 quatre rencontres nationales1 destinées à des gens se réclamant de l’Evangile ont été organisées par quatre instances différentes ayant en commun d’être ou d’avoir été fortement liées à l’univers catholique. Cette quasi concomitance  m’a intrigué : pouvait-on y trouver matière à éclairer le débat et la controverse ouverts au printemps dernier dans les colonnes de la Revue Esprit sur l’avenir du catholicisme2 ? J’ai donc décidé de participer à ces quatre rassemblements. Peut-être allaient-ils souligner quelques signes d’espérance dans notre modernité ? Souvenons-nous des « Quatre Temps », ces offices  scandant les saisons des campagnes et de la liturgie : quels signes caractéristiques de notre vie urbaine actuelle seraient à valoriser par le christianisme contemporain ?


Comme beaucoup d’observateurs, mon attention avait été attirée par le lancement inattendu de la rencontre de Lille, décidée en début d’année 2010 par l’hebdomadaire La Vie et portée vigoureusement par son directeur J-P Denis. Le genre même de cette rencontre inédite flirtait avec la provocation révolutionnaire : des Etats Généraux ! Le promoteur de la formule lors de son discours d’ouverture a voulu d’emblée atténuer la charge explosive du titre : pas question de couper des têtes a-t-il annoncé, ni même de rédiger des Cahiers de doléances. Chacun viendrait individuellement discuter avec les autres présents, sans critère de représentativité ni certificat d’appartenance ou d’orthodoxie, et repartirait transformé. Les participants ont afflué, bien au-delà des attentes. La gratuité des inscriptions et internet n’expliquent pas tout : encore fallait-il que les congressistes aient envie de se déplacer et libèrent leur agenda !
Le neuf n’était pas l’apanage exclusif des Etats Généraux. Les Semaines Sociales, institution centenaire maintenant, ne se sont pas contentées de leur rôle historique de diffuseur de la doctrine sociale de l’Eglise. Les responsables ont organisé des échanges de vive voix entre personnes qui d’ordinaire ne se rencontrent jamais : quel pari risqué que de vouloir inviter 300 migrants aux statuts et origines diverses  pour discuter et manger avec 2000 semainiers ! Que d’embûches : des langues diverses, des religions multiples, des situations administratives alambiquées, des sensibilités politiques variées … Il fallait donc trouver des facilitateurs de rencontres qui avaient déjà commencé à construire [avec les migrants] un avenir ensemble. Ecouter simplement des discours de spécialistes des  migrations ne suffit plus.
Nouveauté également du côté des Réseaux du Parvis : cette fédération de groupements perçus comme contestataire, post-soixante-huitarde, qui se définit elle-même comme un regroupement de « chrétiens critiques », s’est risquée à organiser une rencontre générale, impliquant ipso facto une sorte de test d’importance de cette mouvance … Malgré le peu de moyens matériels et de soutien médiatique dont elle disposait, craignant l’échec, l’initiative a largement trouvé son public : succès qui a obligé à louer un chapiteau en plus des locaux retenus. Certaines images convenues sont désormais à réviser : qui eût cru cette assemblée capable d’écouter en silence et en prenant moult notes, tant de conférences magistrales ?
Sous un chapiteau de cirque planté non loin du stade de France étaient conviés ceux qui avaient choisi de vivre autrement qu’en subissant les changements et les mutations tant sociales que religieuses ; ou du moins, ceux qui allaient entreprendre de changer de cap s’ils jugeaient que le temps était vraiment venu … La foule n’était pas au rendez-vous, alors que la plus part des sujets traités en atelier à Saint-Denis ne différaient pas substantiellement de beaucoup de ceux traités à Lille ou à Lyon. Comment expliquer ce fait ? Erreurs de communication3 ? Poids d’une rhétorique catholique usée4 ? Essoufflement de certains réseaux militants ?

Sans donner une présentation détaillée de ces rencontres nationales mais en les comparant, voici ce que j’ai surtout relevé de caractéristique, que je regroupe par commodité selon quatre considérations : l’expérience ecclésiale, les modes de travail, les conditions matérielles et pratiques, les lendemains.

I. Une église à visages humains.

Il me faut commencer par ce constat, évident, souligné par tous les récits de participants - et l’on parle beaucoup entre participants !   Quelle que soit la rencontre, les participants disent  y avoir fait une expérience ecclésiale.
D’abord la force du rassemblement, de l’assemblée, avec des gens venus de partout ; ensuite, grâce à tous les échanges vécus, la perception d’une foi également partagée, sans considération de fonction : le fondement baptismal l’emportait sur tout autre. Un signe, non négligeable : la place de la prière, de la méditation, la référence à l’Ecriture, selon divers modes personnel et communautaire. Dans l’univers catholique et ses coutumes, la célébration eucharistique écrase souvent toutes les autres expressions de la prière, avec pour corollaire la prédominance sacerdotale, voire épiscopale. Ce ne fut pas le cas lors des rassemblements évoqués. Sans doute le souci œcuménique y est-il pour quelque chose, mais pas seulement.  Il ne faut pas oublier la présence active de divers religieux et religieuses sans compter les groupes spirituels : trop souvent quand on parle de l’Eglise cette composante est passée sous silence.  Dans le même sens je note que la convocation à chacune de ces rencontres n’émanait pas des « autorités hiérarchiques » mais étaient le fait de croyants associés pour l’entreprise, quelles que soient par ailleurs les positions personnelles de chacun dans le domaine sacramentel. L’implication des évêques des diocèses où se sont tenues les rencontres n’a pas été identique, la participation de responsables chrétiens non catholiques a souvent été visible : ainsi, à chaque fois des liens de communion large et profonde ont été manifestés.
Un des traits commun partagé par les organisateurs et les congressistes de ces journée est l’importance primordiale accordée aux récits de vie et d’engagements : je n’en ai pas fait le décompte, mais, parmi les personnes invitées à prendre la parole sur une estrade, le nombre des ‘témoins’ dépassait largement me semble-t-il celui des intellectuels ou des spécialistes. Cette importance du témoignage s’accordait très bien d’ailleurs à l’état d’esprit général valorisant la participation active de chacun : une expérience de « démocratie baptismale » en quelque sorte !

 

II. Les modes de travail en commun


Tous ceux qui ont une expérience de type ‘congrès’ – dans un mouvement, un parti, une association - savent l’importance de la préparation des textes et des motions résumant les diverses positions, les batailles ouvertes ou en coulisse pour contrôler  les déclarations finales. Hormis la rencontre des Parvis qui a lancé un Message d’espérance6 les trois autres rassemblements n’ont pas cherché à     produire durant leurs journées des textes d’accord, encore moins des conclusions. Cela s’explique aisément si l’on songe à la composition de ces assemblées faites d’individus ‘non encartés’ ce qui ne permettait pas de préparation collective longuement mûrie bien avant la session. La rencontre de Lyon sur ce plan ne différait pas des trois autres : le mode d’élaboration du message final l’atteste suffisamment. En effet, pendant une journée chacun était convié à écrire en divers endroits des vœux et souhaits qui furent débattus le second jour pendant une heure par petits groupes, avant qu’une commission de rédaction ne reprenne l’ensemble des contributions de ces groupes éphémères pour aboutir au Message d’espérance. En théorie tous les présents pouvaient prendre part au texte, mais dans l’émiettement généralisé des participations … On peut lire ce mode de fonctionnement aussi bien sous l’éclairage de la création collective que sous celui de l’individualisme contemporain ! 
Avec ce point il me semble que l’on touche un aspect important de la situation présente : l’effacement de l’expérience militante comme mode de travail collectif, qui implique durée, organisation, représentation, et pas seulement débat. Le fait de renoncer à toute déclaration peut témoigner lui aussi du même effacement. Le temps passé ensemble dans une ambiance réflexive, festive et fraternelle se suffirait à lui-même, sans volonté explicite d’adresse à ceux qui sont hors de l’enceinte de la rencontre … Cela est laissé à a responsabilité individuelle de chacun.

Conférences, tables-rondes, ateliers, stands d’exposition, moments festifs : les ingrédients coutumiers des grandes rencontres étaient au rendez-vous. L’emploi du temps des journées alternait ces activités de telle façon que le menu offert aux participants leur permette de maximiser le nombre de sujets abordés. Rien de bien nouveau de ce côté sauf si l’on prend garde à la façon dont les ‘regards croisés’ ont été construits à Lille. A chaque tribune prenaient place autour d’un animateur deux personnalités – aux noms souvent déjà connus des participants – choisies à cause de  leurs positions divergentes sur le sujet traité. Une sorte de ‘pour ou contre’ qui donnait selon les moments soit une discussion vraie, soit deux discours parfaitement étanches, malgré le meneur de jeu ou les questions de la salle. On assistait à une espèce de transposition des joutes télévisuelles obligeant à la simplification et ne garantissant nullement l’écoute mutuelle des intervenants et ce malgré les intentions affichées des promoteurs de la rencontre. Dans certains cas, la juxtaposition des discours allait jusqu’à la caricature (ex. C. Pedotti et V. Ribeton : ‘Changer l’Eglise, oui, mais dans quel sens ?’) ; dans d’autres la discussion et la critique mutuelles étaient vraiment au rendez-vous (ex. J. Vignon et P. Thibaut débattant de la question : l’Europe, un rêve gâché ?). La culture diffusée par les média aujourd’hui et qui façonne nos habitudes et nos réactions, est faite plus d’émotions partagées que de considérations étayées. Je comprends que l’on tienne compte de cet état de fait entretenu par une forme du métier de journaliste. Mais je ne pense pas que ce registre seul convienne en régime chrétien : le Verbe n’est pas que cri ou exclamation, mais entraîne une histoire qui se raconte et accepte le procès.

Le mode d’inscription ne garantissait nullement l’homogénéité de la culture et des attentes des participants de chacune de ces sessions. Les horizons culturels des présents étaient divers, mais cependant filtrés par le lectorat des organismes promoteurs qui dans trois cas sur quatre étaient adossés à une publication ou des groupes de presse : Bayard, La Vie, Parvis. Est-ce un hasard si la rencontre ayant attiré le moins de monde fut celle de Saint-Denis qui ne bénéficiait d’aucun soutien de presse ?
L’association des Semaines Sociales était tout à fait consciente des limites de son audience : pour s’assurer de la présence de migrants, elle s’est adressée à divers partenaires qui ont relayé dans leur réseau l’invitation à venir au Parc Floral. Au moins le temps d’une fin d’après-midi et d’une soirée, une forme de diversité rarement expérimentée a été réellement tangible. Or les quatre rencontres nationales se présentaient toutes comme accueillante au tout venant, un peu à la manière d’une église paroissiale ... Il est loisible à chacun de se vouloir « chrétien d’ouverture » mais cela ne suffit pas : la réalité sociale n’est pas soluble dans les bonnes intentions. Je ne cherche pas ici à critiquer spécialement tel ou tel mais plutôt à pointer une pratique de discours assez partagée en milieu catholique : trop facilement on s’autoproclame ouvert, acceptant difficilement de reconnaitre les frontières du groupe constitué. Les exemples abondent et je n’en retiens ici que deux, symptomatiques à mes yeux :
- à Lille la volonté affichée de faire se rencontrer des chrétiens qui s’ignorent voire se critiquent habituellement a été claironnée comme un objectif majeur de la rencontre. Pour y parvenir, un certains nombre de sujets trop corsetés par les affirmations officielles catholiques ont été écartés, telle la situation des divorcés-remariés ou la question de l’accès des femmes au sacerdoce.
- à Paris, le thème « Migrants, un avenir à construire ensemble » exposait les participants aux risques de l’engagement politique et des clivages que cela produit inévitablement … témoin l’incident7 qui s’est produit entre la salle et Henri Gaino. Ce qui a été asséné à l’assemblée par le conseiller du Président de la République, était une interrogation forte : êtes-vous capables d’entendre ce que vous disent ceux qui ne pensent pas comme vous ou préférez-vous demeurer entre vous ? Que le défi puisse lui être retourné ne change en rien l’effet de sa provocation : la remise en cause du consensus apparent des chrétiens réunis.

Deux reconnaissances était attendue par tous les organisateurs : celle des médias (Cf. dessous) et celle des responsables hiérarchiques officiels. Si le lancement des quatre rencontres analysées était le résultat d’initiatives privées, la volonté des promoteurs de ne pas demeurer ignorés des autorités existait aussi. Même à Lyon les participants ont été heureux d’entendre le message envoyé par le Cardinal Barbarin, archevêque du lieu. Je perçois-là un aspect paradoxal de la responsabilité chrétienne : libres de s’associer pour témoigner en divers champs de l’existence quotidienne, comment les chrétiens peuvent-ils exprimer le lien de communion qui les unit ? Un rassemblement suffit-il pour cela ou bien ont-ils besoin d’une instance d’authentification et si oui, comment celle-ci fonctionne-t-elle ?

 

III. Conditions pratiques


Les conditions matérielles de ces rencontres méritent plusieurs angles d’examen : les lieux, les coûts et leur financement, les relais d’information, les questions de taille et de fréquence.

    De la fréquence et de la taille de ces rencontres.


La pratique catholique appréciée au travers des directives officielles, les commandements, valorise les dimanches et fêtes d’obligation ; changeons de repères et écoutons certains sociologues contemporains : ils privilégient plutôt un double rythme, la fréquence mensuelle et celle des grandes occasions (naissance, mariage, sépulture). Changeons maintenant d’indicateurs : chaque été ces dernières années de nombreux organes de presse ou des reportages télévisés ont mis en valeur le ‘renouveau’ des pèlerinages. Mais qui observe et étudie la pratique des ‘congressistes’, leur variété sociale et culturelle8 ? Sont-ils même dénombrés ? On voit bien que ce genre de manifestation requiert des rythmes lents, annuels ou moins fréquents encore, ne serait-ce que pour des questions de coûts en temps et en argent. Il y a également une question d’échelle géographique : sur ce plan l’expérience de Chrétiens en Forum pourrait être éclairante car cette association organise depuis une dizaine d’années des forums locaux ; en effet le modèle allemand des « journées catholiques » n’est pas le seul disponible.
Les effectifs récemment réunis pour les rencontres nationales - plusieurs milliers de participants dans deux cas sur quatre – ont atteint une limite pratique surtout parce que les organisateurs ont tenu à faire participer les présents et non à les cantonner au rôle d’auditeurs sans droit d’intervention active.


    Des medias et une institution en concurrence d’autorité.


L’importance grandissante des médias dans la vie collective et donc dans les groupes chrétiens – les moyens de communication sociale en jargon ‘catholique’ ! -  s’est traduite par le fait que trois des rassemblements cités ont eu pour origine et pour soutien organisationnel des magazines et un groupe de presse. L’institution catholique, comme pourvoyeuse d’information et de participants, voit son rôle très amoindri : la plupart des congressistes ne sont pas venus portés ou mandatés par leur diocèse, leur paroisse, ou même leur mouvement mais parce qu’ils avaient confiance en l’organisateur. En tirer la conclusion qu’il y aurait fracture entre les responsables hiérarchiques de l’Eglise catholique et les instances de presse concernées serait erroné,  même si par leur fonctionnement celles-ci ne permettent plus à  l’encadrement clérical ordinaire d’imposer ses vues sans discussion ! Les responsables des publications ne pouvaient cependant pas se présenter comme trop critiques de l’institution sous peine d’entamer la confiance que leur accordent ceux que l’on nomme d’ordinaire « les fidèles » d’où étaient issus bon nombre de participants. Existe un jeu ambigu entre la liberté de parole et le respect confiant de l’autorité, dont je vois une trace dans les messages envoyés et lus à l’assemblée des Réseaux du Parvis seule à se proclamer ouvertement ‘critique’. La lettre d’encouragement de Hans Küng – le théologien rebelle, collait bien avec cette revendication de liberté critique, mais ce ne fut pas le seul témoignage public de soutien apprécié des participants ! Il y eut la lettre de Mgr Noyer ancien évêque d’Amiens, sans oublier le message de bienvenue du Cardinal Barbarin archevêque de Lyon.
Pourtant, ce n’est pas cet aspect des choses qui m’a paru le plus neuf ; ce qui a été patent à beaucoup de participants et d’observateurs, c’est que les organismes invitant, donc les groupes de presse concernés, entraient directement en concurrence : c’était tout de suite manifeste avec l’annonce des Etats Généraux. Plus manifeste encore : la ‘couverture’ par tel magazine de la rencontre organisée par une autre publication a été pour le moins calamiteuse, loin de ce qu’on est en droit d’attendre d’une information sereine et équilibrée. Un ‘marché’ est ouvert, qui va se l’adjuger ? Le partage est-il économiquement viable ?  Sur un tout autre registre une telle situation va à contre courant de la communication des autorités officielle du catholicisme qui cherche à présenter un visage de l’Eglise uni et harmonieux ! 

    Origine et usage des ressources financières


Se déplacer, dormir et se restaurer coûte au congressiste, que la rencontre ait lieu à proximité de la capitale ou en province. Les coûts de location des espaces de rencontre varient certainement selon les villes, la nature des salles retenues, et surtout me semble-t-il l’implication de certains partenaires : la catho de Lille et ses multiples instituts et amphis offrait un cadre avec lequel le chapiteau d’A Fratellini en Seine-Saint Denis ne pouvait rivaliser. De même l’appui d’un groupe solide économiquement pouvait faciliter la trésorerie de l’organisation, voire les emprunts financiers. Le participant moyen ne perçoit rien de tout cela ; il connaît sa dépense et les justificatifs correspondant sans avoir pour autant une idée du coût global de l’opération. Ignorance bien conforme au silence ordinaire pesant sur les finances chrétiennes. Un seul détail, paradoxal d’ailleurs : à Lyon une collecte a été organisée sur place pour couvrir la charge de la location du chapiteau décidée à la dernière minute au vu du grand nombre des inscriptions. La somme recueillie a été annoncée en assemblée, et applaudie. Mais ce furent, sauf erreur, les deux seuls chiffres fournis aux participants, à l’euro près ; peut-être les membres de l’assemblée générale statutaire ont-ils eu droit à plus de précisions pour les dépenses globales ?
Je pense pour ma part que la « démocratie participative » voudrait que soit réexaminé cet aspect des choses. Après tout, vaut-il la peine de dépenser tant d’efforts et d’argent pour le résultat obtenu ? Je serai étonné d’apprendre que les responsables de Chrétiens en Forum ne se soient pas posé la question. Mais cette question n’appartient-elle pas à tous, organisateurs et ‘organisés’ ?

      Du type de  lieu

     
Agglomération parisienne, agglomération lyonnaise, agglomération lilloise : trois aires urbaines pour quatre rencontres. Chacun voit bien que le cadre urbain apporte autre chose qu’un haut lieu spirituel, fut-il multiséculaire comme le Mont Saint Michel ou Vézelay, œcuménique et marqué du trait de la jeunesse comme Taizé. Est-ce seulement une question de facilité de communication avec le reste du territoire (TGV), une affaire de taille des locaux disponibles, une question toute bête de chalandise, davantage de participants étant susceptibles de provenir de ces bassins de population ? Tout cela joue certainement, mais si l’on en reste à ces considérations je crains qu’on ne manque un volet essentiel de ces manifestations récentes. Par cette dernière réflexion je voudrais terminer mon tour d’horizon, face à l’avenir.
 

IV. Quels lendemains ?



Notre mentalité chrétienne est très profondément enracinée depuis mille ans dans nos territoires paroissiaux, notre représentation villageoise. L’Eglise s’est dessiné ainsi, église de village ou cathédrale des seigneurs, toujours enracinée dans un terroir avant de se présenter sous le visage de ses membres baptisés ; les clercs responsables des lieux susdits l’emportent forcément dans cette mentalité : comment pourrait-il en être autrement ?
Aujourd’hui plus de 80% des nos concitoyens vivent en ville, souvent en grandes villes. C’est cette réalité qu’il importe d’investir, en remettant en chantier nos représentations, habitudes et signes. Je me suis demandé par exemple si la rencontre de Lille aurait pu de passer ailleurs ? J’ai hésité à répondre puis j’ai opté pour le non, vraiment, car quelque chose s’est passé là-bas de formidable : des communautés locales ont été actives dans ces Etats Généraux. Pas seulement en venant à la Catho ; mais surtout parce que les congressistes ont été conviés à sortir de leur bulle pour aller prier toute une nuit à Saint Maurice, et se retrouver sur le parvis de Notre-Dame de la Treille à l’occasion de l’envoi final.
Imaginons un instant ce qu’auraient pu produire les Semaines Sociales en se faisant accueillir par des communautés parisiennes ou cristoliennes, des foyers de migrants,  des élus ou des syndicalistes du cru ? Imaginons qu’à Lyon du temps ait été prévu pour découvrir les frères du Prado, pour connaître les acteurs des rencontres interreligieuses, pour s’informer auprès des associations locales, etc. Rêvons un instant : les participants auraient pu également rencontrer des habitants de banlieues, là où ils se retrouvent d’ordinaire ; ces frères méritent mieux que le traitement qui leur est réservé trop souvent par les média ou le monde clean des responsables catho, et même les discours tout fait de certains réformateurs bienpensants…


Au terme de mon périple d’automne, ai-je trouvé des éléments de réponse aux interrogations évoquées au tout début de ces lignes et qui m’avaient faites voyageur ? Incontestablement, oui et je les présente rapidement :

1- La vitalité chrétienne dépend d’abord des chrétiens et non de leur organisation : il  importe de convier nos frères et amis à le découvrir concrètement en échangeant de multiples façons à partir de leurs expériences diverses.
2- Cela suppose des rassemblements qui impliquent davantage les groupements, associations ou communautés environnant. La formule ‘rassemblement national’ peut se révéler alors une gêne. Qu’à cela ne tienne : vive les rencontres régionales !
3- Les quatre rencontres sélectionnées ont chacune abordé plusieurs des questions sociales difficiles que tous nos concitoyens affrontent. Aucun rassemblement ne s’est contenté de discuter des problèmes internes de l’Eglise. Ceci est heureux et à retenir.
4- La joie des retrouvailles, le tournis des opinions partagées, l’élan des engagements renouvelés tout cela prime de loin les mots d’ordre généraux, les programmes d’action émanant de quelque autorité que ce soit.

En agissant délibérément ainsi à l’avenir, les organisateurs et les participants prendraient mieux la mesure de notre civilisation urbaine, où sont brassés populations et options politiques, style et parcours de vie, religions et opinions. Il est fini le temps des grandes villes mono centrées, désormais les mégapoles reconnaissent divers centres, variant selon les enjeux. Veut-on un symbole ? Quelle métropole pourrait vivre sans la multiplicité de ses gares - routière, métro, réseaux ferrés, aéroports – demandant certes des interconnexions  mais disposant chacune de son aire propre. Pourquoi le christianisme, notamment le catholicisme, n’essaierait-il pas de sortir à cette occasion du modèle mono centré ?

Au fond m’objectera-t-on peut-être, le modèle des rassemblements souhaité par ma conclusion reviendrait à faire l’apologie de mon propre voyage, sans plus, les quatre villes citées - Lille, Lyon, Paris, Saint-Denis - formant chacune un pôle urbain de la société française. Peut-être. Mais la comparaison urbaine par la quelle je termine a une pertinence autrement plus grande que de seulement conforter mon périple : il s’agit vraiment de réfléchir de fond en comble à nos modes de penser et d’agir. Et cela ébranle plus qu’il n’y paraît au premier abord les tranquilles habitudes catholiques voire chrétiennes : entrer dans un univers d’échanges généralisés est souvent perçu comme une menace par ceux qui recherchent d’abord des références stables, fiables. Notre époque a-t-elle besoin de Dieu10 ? Cette question-titre figurait sur les fiches d’invitation à Lille, elle s’étale sur la jaquette du recueil publié en écho à la rencontre. Mais y fut-il répondu ? Il est frappant de constater que si tous les débats du livre-événement retraçant l’aventure lilloise sont organisés sous forme de question, aucun de leur titre n’affronte l’interrogation princeps ! La réponse serait-elle connue d’avance : mais bien sûr  que …. Qu’en pensaient les participants ? Le livre ne le dit pas : rien n’est repris des questions émanant d’eux ! Hélas ! Cependant, désormais le champ est ouvert pour creuser ensemble toutes ces questions et quelques autres aussi.



Jean Lavergnat

Janvier 2011



1 Dans l’ordre chronologique : les Etats Généraux du Christianisme « Notre époque a-t-elle besoin de Dieu ? » (fin septembre à Lille), les Chrétiens en Forum (« @utrement la vie » - mi-octobre à Saint-Denis 93), la rencontre de la Fédération des Réseaux du Parvis « Le temps est venu » (mi-novembre à Lyon), les Semaines Sociales de France « Migrants – Un avenir à construire ensemble » (fin novembre à Paris)
Beaucoup d’autres grandes assemblées ont eu lieu l’année dernière, liées soit à une mouvance chrétienne (ex. sessions d’été de Paray-le-Monial, animées par la communauté charismatique de l’Emmanuel), soit à un mouvement d’action catholique (ex. Congrès national de l’Action Catholique Ouvrière, au Futuroscope) ;  je n’ignore pas non plus les hauts lieux de ressourcements comme Taizé ou, dans un tout autre genre, Lourdes ouverts à tous ceux qui s’y pressent. J’ai choisi les quatre rencontres énumérées ci-dessus et ne prétends donc pas disposer d’un point de vue panoramique permettant d’estimer  la vitalité du catholicisme en France aujourd’hui. Simplement, je cherche à mieux comprendre ce qui se passe dans notre pays, à partir d’observations directes et réfléchies.
2 Numéro de février 2010 « Le déclin du catholicisme européen » ; controverse dans le numéro de mai  2010 (Rubrique : Repères). Sur le même sujet, voir le numéro de sept 2010 de la Revue des Deux Mondes : « Requiem pour le catholicisme ? » 
3 Le titre principal de la rencontre « @utrement la vie… », impronoçable à la lettre, renvoyait à une modernité clinquante mais restreinte par rapport aux sujets des ateliers.
4 Cf. La déclaration de la Commission Sociale de l’épiscopat français de 1982 « Pour de Nouveaux modes de vie »
5 Chrétiens en Forum est une association héritière de l’UOCF (Union des Œuvres Catholiques de France) ; elle a organisé au cours de ces vingt dernières années nombre de rencontres nationales ou régionales. Pour plus de détails : consulter le site : http://www.forum.cef.fr/
6 http://reseaux-parvis.fr/chretiens-en-liberte/reseaux-du-parvis/nos-communiques/336-le-message-desperance-rassemblement-2010-a-lyon
7 Voir la vidéo des interventions sur « Les politiques migratoires, effets d’annonce ou réalité ? » http://www.ssf-fr.org/56_p_21656/session-2010-ssf-video-h-guaino-h-flautre-j-barrot-y-blanc-a-ba.html  ainsi que le communiqué de J. Vignon, président des Semaines sociales http://www.ssf-fr.org/offres/gestion/actus_56_8970-1/session-2010-communique.html
8 Quand il s’agit de mouvements organisés, leur spécificité colore immédiatement le style du rassemblement : une rencontre nationale de la Jeunesse Ouvrière Catholique n’a pas grand-chose de commun avec les quatre rencontres évoquées ici. Les  classes moyennes ou intermédiaires me semblent composer le gros des troupes, mais cette impression devrait être vérifiée. L’âge moyen aussi paraît élevé. Toutefois il faut y regarder de plus près : par exemple à Lille, la question « Le travail a-t-il du sens ? » a attiré des étudiants venus des écoles de gestion de la Catho tandis que l’interrogation « Monde rural : comment sortir du productivisme ? » a regroupé des exploitants agricoles qui n’étaient pas tous retraités !
9 A savoir coût de la location du chapiteau et de la sono, le produit de la collecte.
10 Notre Epoque a-t-elle besoin de Dieu ?  Presses de la Renaissance    Paris 2011.

 


Date de création : 22/05/2012 : 17:11
Dernière modification : 08/03/2013 : 11:20
Catégorie : Archives
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